Hommage à Edouard Pignon, natif de Bully les Mines. Pas de Calais (1905-1993)
Peintre, Expressionniste Abstrait. Ami de Picasso.


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  Edouard Pignon
Biographie
Chronologie
Exposition Assemblée Nationale 2001
Exposition Aix en Provence 1999
Retrospective 1997
Hélène Parmelin 1998


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Edouard Pignon et
Pablo Picasso, 1952

Pensée du grand Maître

"Au début, on ne voit rien. On voit un ensemble de choses, mais on ne voit rien, ou plutôt, on voit comme tout le monde. Ce qu'il faut, c'est une longue observation méditative, crayon en main. Et au bout d'un certain temps on s'aperçoit que les choses commencent à avoir une autre vérité. La réalité apparaît beaucoup plus vraie. Cela demande beaucoup de temps" (La Quête de la réalité)


Les Plongeurs Rouges. Huile sur Toile, 1966.

Les Plongeurs Rouges. Timbre 1981.
Edouard Pignon (1905-1993)
Né dans le Pas-de Calais, à Bully les Mines, Marles les Mines fut le pays d'enfance du peintre figuratif Edouard Pignon. Edouard Pignon était une figure singulière. Roux, il se trouvait laid. Mineur, il refusait de répondre en patois. Il voulait être écrivain et devint peintre. Peintre figuratif, il résista à la montée de l'abstraction. Homme du Nord, sa peinture a la lumière et la violence des couleurs du Midi où il vécut et fut ami de Picasso.

D'une famille de mineurs, galibot avant de devenir cimentier-plafonneur parce qu'il ne supportait pas l'absence de lumière au fond, Edouard Pignon n'a pas suivi un itinéraire banal. C'est un coloriste, il s'occupe des problèmes spécifiquement picturaux, multipliant inlassablement les compositions. Son oeuvre se développe par grandes séries : Les Combats de coq, Les Pousseurs de blé, Les Plongeurs, Les grands nus rouges. Afin qu'un musée soit créé à Marles Les Mines, il a fait don de quarante toiles, de dessins et lithographies et de trois tableaux de son ami Picasso.

Les Oliviers by Edouard Pignon
Les Oliviers - Lithographie, 1950.
Vendange by Edouard Pignon
Vendange - Lithographie, 1952.
Pignon Edouard - Homme a lenfant
L'homme à l'enfant - Lithographie, 1973.
Pignon Edouard - Tribut à Van Gogh
Hommage à Van Gogh, 1987. Huile sur toile.
 
Edouard Pignon (Travaux des champs)
Edouard Pignon, Travaux des champs, 1952. Aquarelle sur papier.

Le Mineur à la cigarette, 1948
http://ascap.free.fr/arto/auteurs/pignon.html
Combat de Cocq
Peintre français, né à Bully.

Son père appartenait à une famille de mineurs. Après des études primaires, il s'engage à la mine, puis devient manoeuvre dans le bâtiment. Son service militaire terminé, il monte à Paris pour devenir peintre, mais il doit pour subsister pratiquer de nombreux métiers, chez Citroên, Renault, Farman, tout en suivant des cours du soir.

En 1941, il s'associe aux "Jeunes peintres de tradition française" qui exposent à la Galerie Braun, manifestation à la fois esthétique et politique. Dès lors Pignon vit tout entier pour son art. En 1960, le Musée National d'Art moderne de Paris consacre au peintre une rétrospective de son oeuvre.

De la première période, antérieure à la Deuxième Guerre Mondiale, ne subsistent que de rares témoignages, tels "L'Ouvrier mort" de 1936 ou "L'Hommage aux mineurs des Asturies" de la même année, illustration d'une peinture à contenu social et qui se situe dans la lignée des grands expressionnistes flamands.

Puis le dessin devient de plus en plus linéaire, sinueux, stylisé, tout en restant expressif. C'est déjà un art personnel et une transposition de la réalité qui situent Pignon sur le même plan que ses amis de l'exposition à la Galerie Braun : Manessier, Estève, Gischia, Bazaine et tous ceux qui, au lendemain de la guerre, vont constituer une nouvelle école française qu'accueillera la Galerie de France.

Chez Pignon, les sujets semblent imposer un style. C'est ainsi que des lourdes formes noires dessinées par les filets que sont en train de remmailler ses "Catalanes" (1946), il tirera les voiles, aux formes légères et géométriques, des compositions quasi abstraites que lui inspire "le port d'Ostende" (1948-1950).

La couleur redevient fluide et limpide. Mais simultanément, Pignon brosse une série de portraits de mineurs. Ainsi un dualisme profond, un conflit psychologique intérieur semblent l'amener à procéder par alternance, dans une sorte de balancement qui assure son équilibre. Et toujours, périodiquement, Pignon revient à de grandes figures humaines qu'il peint dans un style rénové.

L'année 1955 est pour lui celle de la découverte de la Provence. Ses paysages s'aèrent, ouvrant de larges zones tranquilles. L'olivier plus que le paysan en est le centre et il deviendra le thème d'une nouvelle suite.

Après le calme des paysages, Pignon redécouvre les combats de coqs de sa jeunesse, qui lui fournissent l'occasion de déployer un lyrisme chromatique exacerbé (1958-1961). Celui-ci trouvera un nouveau champ d'application dans la série des "Batteurs de blé" (1961-1962), où le tourbillon de la paille qui vole, l'arabesque des oliviers se fondent avec l'effort ordonné des hommes dans leur combat contre les éléments extérieurs.

Puis viendront "Les Batailles" (1963-1964), dont il tirera "Les Seigneurs de la guerre".

Il y aura enfin les grands "Nus rouges" (1972-1976), nés d'abord de la contemplation des corps sur la plage, puis d'études plus poussées en atelier : formes d'une pureté tourmentée qui éloigne Pignon de Matisse au moment même où il semble s'en rapprocher.

Pignon a exécuté plusieurs décors de théâtre, ainsi que des céramiques monumentales pour le Centre culturel d'Argenteuil.

Il est enfin l'auteur de plusieurs livres dans lesquels il développe ses conceptions esthétiques, sociales et politiques.


Chronologie
1905 Naissance d’Edouard Pignon à Bully-les-Mines (Pas-de-Calais).
1927-1940 Installé à Paris, exerce divers métiers tout en suivant des cours de peinture dans des écoles du soir. Peint en 1936 la première version de L’Ouvrier mort (Paris, Musée national d’art moderne).
1940-1945 Membre du groupe des Jeunes peintres de tradition française. Premier contrat avec la Galerie de France qui le représentera jusqu’en 1976.
1945-1950 Commence à peindre par "séries" : les Catalanes, Ostende, les Mineurs.
1950-1958 Séries des Paysans, des Paysages et des Oliviers où il intensifie son approche du réel. Peint en 1952 la deuxième version de L’Ouvrier mort (Paris, Musée national d’art moderne).
1958-1961 Multiplie ses séjours dans le Nord pour dessiner au milieu des combats de coqs qui deviennent, au fil des années, sa signature.
1961-1964 Plusieurs séjours d’été en Italie (depuis 1958) lui inspirent les Battages et Pousseurs de blé. L’une des dernières toiles de la série, intitulée La Moisson-guerre, ouvre la période des Batailles (1961-1964).
1965-1966 S’intéresse (depuis 1962) aux plongeurs qui concluent sa première rétrospective au Musée national d’art moderne en 1966. Parution de son livre d’entretiens, La Quête de la réalité.
1967-1970 Séries des Seigneurs de la guerre et des Têtes de guerriers (depuis 1964) qui sont exposées en 1970 au Musée Galliéra à Paris avec des Hommes à l’enfant.
1971-1982 Entreprend des séries d’aquarelles et de tableaux de Nus qu’il déclinera à travers les suites des Bleus de la mer (1978-1981) et des Nus aux cactus (1979-1982).
1982-1985 A la faveur d’anciens carnets d’études, reprend deux thèmes traités dans les années 1950 : les Hommes de la terre (1981-1982) et les Electriciens sous le titre Haute tension (1982). Héritage des Nus et de leurs dérivés, les Dames du soleil (1983-1984) occupent la dernière salle de son importante rétrospective au Grand Palais en 1985.
1986-1989 Atteint d’une cécité progressive, peint l’ultime série des Nus géants.
1993 Décès le 14 mai 1993

Exposition Edouard Pignon: un homme et le XXè siècle.
Assemblée nationale, Octobre 2001
Edouard Pignon - Photo 1985 Dès la fin de la Première Guerre mondiale, nombreux sont ceux qui interprètent le conflit comme l’évidente démonstration de la fin d’un monde. Les convictions du siècle passé devenues caduques, il est permis de penser que l’ampleur du désastre va ouvrir sur une nouvelle marche du temps et du progrès, sur un monde meilleur.

Contemporaines de cette période, il ne fait pas de doute que l’enfance et l’adolescence d’Edouard Pignon, qui se déroulent dans une petite ville minière du Nord, se nourrissent avant tout de ce mythe d’une histoire émancipatrice. Après son arrivée à Paris à la fin des années vingt, les débats autour de l’idée d’un "art moderne", d’un art monumental - auxquels il assiste lors de cette période d’apprentissage - s’inscrivent eux aussi dans la perspective d’une reconstruction de la société sur de nouvelles bases.

Toutefois, en ces années d’incertitude prémonitoires de la décennie dramatique qui s’annonce, si les peintres ambitionnent d’anticiper le réel à venir, leurs œuvres, lorsqu’elles n’investissent pas le terrain de l’utopie, sont d’abord marquées au sceau du passé immédiat.

En 1936, Edouard Pignon peint un Hommage aux mineurs des Asturies réprimés pendant les grèves d’Espagne. L’engagement, qui marque alors la thématique de son œuvre, s’incarne dans la pratique d’une peinture moderne qui, tout en renouant avec la tradition des maîtres anciens, se pense à la fois par rapport à l’Histoire et à l’Histoire de l’art.

Du reste, c’est à l’évidence l’engagement de l’artiste, exagérément associé plus d’ailleurs aux positions de la personne qu’à la réalité de son travail, qui entretient encore largement la confusion sur la portée de sa démarche créatrice. Pourtant, sa quête de la réalité - titre de l’un de ses livres devenu aujourd’hui un texte classique, témoignage essentiel de la parole du peintre et du sens qu’il voulait donner à sa peinture - relève clairement d’un questionnement face aux événements du monde. C’est d’ailleurs en ce sens qu’il convient de situer l’engagement militant qui fut le sien tout au long de sa vie.

Même si l’époque et l’atmosphère guerrière de l’actualité pénètrent les séries présentées ici - Batailles, Têtes de guerriers et Seigneurs de la guerre qui renvoient la vérité de violence et de mort des années soixante et soixante-dix - ces œuvres ne donnent ni à lire, ni à voir, un événement ! Elles sont moins déterminées par l’Histoire que portées par elle. Dans leur antagonisme au monde, tantôt dénonciatrices du climat tragique avec les Guerriers, tantôt consolatrices avec les Hommes à l’enfant, elles montrent la trace de l’Histoire, la confrontation d’un homme avec l’époque qu’il vit et qu’il traverse.

Toutes ces œuvres se posent, pourrait-on dire, en un condensé du siècle. Elles figent non seulement l’image qu’il nous renvoie mais aussi la marque qu’il imprime sur son passage. Dès lors, elles deviennent impossibles à concevoir hors du contexte qui les a produites. De même, peut-être est-il tout aussi impossible d’imaginer le XXe siècle sans ces œuvres qui en sont le saisissant reflet. Philippe Bouchet. Rédacteur du catalogue raisonné.

L'Homme à l'enfant endormi
1970 huile sur toile
73 x 60 cm


L'Homme à l'enfant à l'arbre jaune
1970 huile sur toile
81 x 60 cm


L'Homme à l'enfant ensommeillé
1970 huile sur toile
81 x 54 cm


L'Homme à l'enfant à l'arbre blanc
1970 huile sur toile
54 x 65 cm


L'Homme à l'enfant vert
1970 huile sur toile
146 x 114 cm


L'Homme à l'enfant rose rouge
1970 huile sur toile
162 x 130 cm


Tête de guerrier casqué
vers 1970
huile sur toile
53 x 81 cm


Bataille verte
1963
huile sur toile
195 x 240 cm


Les Seigneurs de la guerre
1969 huile sur toile
100 x 195 cm


Tête de guerrier rouge
1970 huile sur toile
53 x 80 cm


Tête de guerrier jaune vert
1970 huile sur toile
60 x 81 cm


Tête de guerrier à l'oreille
vers 1970
huile sur toile
60 x 81 cm

Tête de guerrier jaune bleu
vers 1970 huile sur toile
60 x 73 cm

Tête de guerrier bleu vert
1970 huile sur toile
60 x 81 cm


Peinture


 

Edouard Pignon. Rétrospective, Palais des Beaux-arts de Lille. 1997.
Mardi 9 Décembre 1997. Dominique Widemann
Edouard Pignon naît en 1905 à Bully-les-Mines, Pas-de-Calais. Quelques années plus tard, jeune ouvrier, il se rend à vélo au palais des Beaux-Arts de Lille, où il voit les 'Vieilles' et les 'Jeunes' de Goya. Il en revient ébloui et triste tant la peinture lui paraît, alors, 'une chose magnifique, extraordinaire', mais tellement 'inaccessible, impossible à conquérir'. Le voici de retour en ces lieux qui l'honorent, peintre immense dont l'oeuvre et la vie entrelacées se sont développées avec l'histoire du siècle.

SUR de grands pans de murs blancs qu'éclaire la lumière zénithale de l'hiver, les dernières toiles d'Edouard Pignon, datées de 1989, s'embrasent de rouges incandescences. Le peintre perdait la vue. La couleur architecture les masses monumentales du 'Nu géant', du 'Nu en majesté', prêts à déferler de la toile comme la lave aux flancs du volcan. La vitesse de l'éruption coupe le souffle, en apparente contradiction avec l'alanguissement sensuel du corps ouvert sous l'embrasement solaire. Le fils de mineur atteint à sa vérité, dont Eluard écrivait 'qu'elle est la brûlure la plus proche du soleil'.


Le sens des mots

Dans sa famille, prolétaire et fière de l'être, on discute, on s'interroge. Mais la culture, il faut y croire très fort, il faut en avoir faim et soif, n'être jamais repu. Edouard Pignon cherche dans les dictionnaires le sens des mots et, avant le choc des Goya, sait 'attraper la ressemblance' dans les portraits qu'il dessine. En témoignent ce portrait de l''Oncle Edouard' en 1926 et un 'Autoportrait à la palette' réalisé deux ans plus tard. Le fils de mineur ne veut pas descendre au fond de peur que le ciel lui manque. Il se fait maçon. Son apprentissage de peintre, il le fait seul. Quelques cours de dessin et d'anatomie par correspondance, un petit livre reçu de Paris qui l'initie à la peinture à l'huile. Paris, où il sait qu'il lui faudra se rendre, encombré des contradictions de son âme honnête, tiraillé entre son désir impétueux de peindre et la gêne de sembler renier les siens, leur patois et leur sueur. En près de soixante ans de peinture, il ne cessera de tarauder les évidences du réel dont sa 'culture' ouvrière l'a irrémédiablement imprégné. Il tracera son propre chemin, à contre-courant le plus souvent. A vau-l'eau jamais, tant l'exigence qui pousse sa peinture est véritablement celle d'un projet de vie aux gésines successives. Il fait ses universités au musée et se choisit de nobles compagnons: Michel-Ange pour la forme et Titien pour la couleur, le Tintoret pour le mouvement et Cézanne, Van Gogh, Picasso, dont il deviendra l'ami, Matisse...


Exploitation et solidarités

Le Salon des indépendants accueille en 1932 sa première toile publiquement exposée: 'Meetings'. Le tableau s'inscrit dans le climat qui précède le Front populaire. Le peintre adhère à la CGTU en 1931 et au Parti communiste en 1933. Il milite à l'Association des écrivains et artistes révolutionnaires et donne en 1936 son premier 'Ouvrier mort', qu'il réécrira en 1951.

'L'Usine', de 1933, 'les Personnages autour de la table', en 1934, empruntent à l'art de Fernand Léger. Pignon éternalise l'exploitation et les solidarités, les tragédies ouvrières, comme dans 'Hommage aux mineurs des Asturies', icône ressurgie du traumatisme qu'il éprouva lors du coup de grisou qui, en 1911, lui jeta aux yeux les corps carbonisés des galibots.

De tous les débats, Edouard Pignon réfutera le réalisme-socialiste, dans lequel il discerne un mépris pour le prolétariat: 'Je suis persuadé, écrit-il, qu'on fait injure à ce qu'on appelle le peuple de vouloir créer une peinture à sa mesure. La peinture pour le peuple n'existe pas.' Il se refusera de même à l'abstraction, qu'il tient pour 'une paresse de l'esprit', au profit d'une réalité à laquelle il proclame vouloir 'faire rendre gorge'. La toile sera l'espace de cette bataille sans concessions.

Les thèmes se succèdent dans des enchaînements que seul le recul contemporain permet de saisir pleinement. De 'l'Olivier' aux 'Combats de coq', des 'Battages' de moisson aux 'Batailles' guerrières, à la chute des corps de 'Plongeurs'. Pignon procédera souvent par grandes séries, prenant bel et bien à la gorge cette réalité qui semble s'obstiner à fuir l'artiste, à la limite de la possession, danse de la joute amoureuse. Il assure ses gestes, saute au motif, déchire les espaces, lutteur sans feintes qui entreprend la réalité multiple dans toutes ses articulations.

Présent dans tous les combats politiques et idéologiques de son temps, les préoccupations de Pignon sont celles d'un peintre, se gardant toujours de tout ce qui peut imposer à la peinture une 'manière de faire'. Il cherche non à dépeindre la réalité pour démontrer, mais à recréer le réel pour le peindre. Vertigineuse spirale dialectique dans laquelle il investit toute sa force pour ne pas perdre le nord. Voiles pâles d''Ostende', paysages de Provence où la distance s'abolit, vigueur des 'Bouquets de pieds' saisis dans la trajectoire du plongeon, paysans rendus comme des arbres, bleus de Collioures et verts parasols des 'Dames du soleil', Pignon fait assaut d'inventivité, de liberté, de violence et de poésie mêlées.


La gloire à quatre-vingts ans

Entre toiles uniques et séries foisonnent gouaches, aquarelles, dessins et céramiques. Dès 1948, Pignon travaille avec Jean Vilar au Festival d'Avignon et réalise pour le TNP de nombreux décors. Cette luxuriance devait produire çà et là bien des aveuglements réels ou commodes, tentations de cerner l'irréductible. Edouard Pignon fut reconnu de son vivant comme le peintre le plus imposant de sa génération et connut, à l'âge de quatre-vingts ans, la gloire d'une rétrospective au Grand Palais. Nul besoin de lui rendre justice, ni de figer dans l'hommage cet homme de mouvement. Mais aux cimaises de Lille, on peut accrocher un regard neuf, plus humble, prémices d'autres visions à venir sur un peintre si totalement 'engagé' dans la peinture.

Exposition Edouard Pignon En pleine lumière. Aix en Provence 1999.
Source & Auteur: Philippe Bouchet
C’est au contact de la lumière vive du Midi qu’Edouard Pignon élabora son œuvre. Lui-même d’ailleurs considérait que sa "quête de la réalité" avait réellement pris corps au moment de ses premiers séjours sur la Côte d’Azur. L’exposition proposée par le Conseil général montre comment ses préoccupations plastiques - parmi lesquelles la construction de l’espace, l’articulation des formes et la question de la couleur tenaient les premières places - trouvèrent là le fondement de leurs solutions.

C’est pendant l’été 1949, lorsqu’il s’installe à Sanary qu’Edouard Pignon se met à "penser autrement" tant la nature qui lui fait front le lui impose, apparaissant à ses yeux "comme une sorte de révolution".

Sans doute plus que tout autre, parce qu’il est homme du Nord, Pignon est ébloui par la lumière de cette région dont il perçoit immédiatement qu’elle peut être la source profonde de découvertes, devenant l’outil le plus délicat, le plus subtil et le plus efficace pour la construction savante d’un nouvel espace : celui de ses Paysages par exemple où un olivier, au premier plan, enserre les murs d’un mas, ses briques et sa toiture de tuiles roses, les sillons des champs environnants, les arbres à l’horizon,… une conception de l’espace que l’on ne trouve nulle part dans la peinture d’alors.

Poursuivant sa quête de la réalité ébauchée quelques années auparavant dans l’âpreté pyrénéenne de Collioure, il intensifie ses recherches en tentant de cerner plus profondément le réel et de le faire vivre sous sa main. Il s’y astreint sous l’intensité du soleil qui embrase les couleurs, dans la violence du vent qui souffle sur les terres arides de la garrigue, en parcourant des paysages sévères rythmés d’oliviers ou en s’isolant dans des calanques, seul face à la mer et à sa poussière d’écume.

De cet éblouissement méditerranéen et de cette révélation d’un nouvel ordre plastique, il extraira, à travers nombre de ses œuvres, "l’éclat du soleil", des Oliviers aux Cueilleuses de jasmin, des Vendangeurs aux Nus, des Plongeurs aux Bleus de la mer, séries de tableaux qui ne se départissent pas pour autant de ses inquiétudes, “d’une joie de vivre dans la violence" du monde sur lequel il pose son regard dans l’espoir et la conviction de le refigurer.
A travers ses différentes séries, la lumière captée sur la surface de la toile ne peut toutefois être perçue de manière uniforme. Le regard de Pignon tentera d’en saisir la multiplicité des effets, entre jovialité et gravité. Et si plusieurs séries incarnent l’allégresse de la vie, d’autres ne laissent pourtant que rarement se dissiper un sentiment sous-jacent de doute et d’inquiétude, témoignage de l’ambivalence de ses visions qui ne se sont jamais nourries de la seule sensation d’éblouissement mais qui ont aussi rendu compte des pesanteurs du monde et de la tenace réalité de l’histoire. Pendant près de quarante ans, peut-être a-t-il alors éprouvé, dans ce face à face avec la pleine lumière, la sensation d’être, comme l’a évoqué Georges Duby, "aux avant-postes de l’espoir".

L’exposition Edouard Pignon en pleine lumière réunit une cinquantaine de peintures, encres, aquarelles, poteries, toutes issues de séries inspirées par le Midi, traçant un parcours dans la lumière et la couleur de 1949 à 1987.
  nu endormi dansant
Nu endormi dansant, 1987, huile sur toile, 130 x 195 cm (Coll. particulière)


Les trois plongeurs rouges, 1965, huile sur toile, 65 x 92 cm (Coll. particulière)


Les hommes de la terre, greffage au porteur de chaise, huile sur toile, 81 x 100 cm (Coll. particulière)

Hélène Parmelin, femme de Edouard Pignon, écrivain et journaliste.
Source Url L'Humanité, le 7 Février 1998. Michel Guilloux. Pierre Zarka.
Ecrivain, critique d'art, journaliste, femme du peintre Edouard Pignon, elle s'est éteinte dans la nuit de jeudi à vendredi, à l'âge de quatre-vingt-deux ans. ELLE ne mâchait pas ses mots. Elle en a fait sa vie même. Hélène Parmelin est décédée dans la nuit de jeudi à vendredi, à l'âge de quatre-vingt-deux ans, presque cinq ans après son mari et compagnon de quatre décennies, le peintre Edouard Pignon. Ceux qui l'ont connue gardent le souvenir d'un regard bleu, du port altier d'une tête à la coiffure enserrée dans un chignon, de charme slave, de la vivacité d'esprit, de la passion et de la sensibilité qui l'habitaient, meurtries par les épreuves d'un siècle qui aura connu la perversion de l'idéal communiste.

Journaliste, écrivain, critique d'art, cette figure intellectuelle aura bâtie une oeuvre de pas moins d'une quinzaine de romans, de nombreux essais et ouvrages sur l'art. Son activité protéiforme a l'unité de l'insurrection d'un esprit singulier. 'Ce que j'ai envie d'écrire, expliquait-elle aux 'Lettres françaises' en novembre 1968, c'est ce que je vis moi-même, ce que je sens, ce que je touche du doigt. Tous mes romans sont toujours des romans de l'actualité: car je me sens être, comme chacun de nous, une sorte de lieu géométrique de tout ce qui se passe, un carrefour, une conscience où se répercute à tout instant tout le fabuleux grouillement du monde.'

Le foisonnement, la densité de la vie, l'écrivain en rendra compte par le procédé 'simultanéiste'. Une oeuvre se construit depuis 'la Montée au Mur' (des Fédérés, qui lui vaut le prix Fénéon en 1951) qui aborde les rivages aussi bien du monde ouvrier ('Léonard dans l'autre monde'), de la politique ('la Manière noire'), de l'amour ('la Femme écarlate') ou de la guerre, thème récurrent qui éclate dans 'le Guerrier fourbu' même si pour sa 'Femme crocodile' qui lui succédera, 'la multiplicité des simultanéités n'est plus peur et douleur, mais force et joie'.

On en retrouve l'écho dès les premières lignes de 'Cramponne', l'un de ses derniers romans publié en 1978: 'Tout se passe aujourd'hui. Je vis en même temps que les personnages de mes livres. Personnages. Et non pas des héros. Nous ne sommes pas des héros. Vous n'êtes pas des héros. Nous avons tous les mêmes ciels à soleil ou calamités, à tours et immeubles ou horizons à l'infini. (...) Les mêmes affiches nous racolent. Nous partageons les mêmes guerres environnantes, quoi que nous fassions de leur sang dans l'indifférence ou la passion de nos esprits à leur égard. Guerres de religion, guerres d'indépendance, guerres de terres et de couleur, guerres de peau et d'uranium, guerres de guerres. Et les mêmes guerres intérieures.'

Il aura fallu que deux êtres fuient séparément la Russie tsariste, après l'échec de la révolution de 1905, se retrouvent auprès de Lénine en Suisse, tombent amoureux, choisissent de s'installer en Lorraine pour que, de l'union d'Arcadi Jungelson, agronome socialiste-révolutionnaire, et de Véra Halfin, menchevik, naisse le 19 août 1915 une jeune insurgée. De son union avec Edouard Pignon - ils se marient en juin 1950 - elle garde le souvenir d'une ouverture d'esprit au monde, à l'art et à la culture. A trente ans, membre du PCF depuis un an, elle entre à 'l'Humanité' - dont elle décrira la vie dans un roman humoristique, 'Noir sur blanc', en 1954 - commençant par la culture puis, très vite, acquérant un statut de grand reporter. Quand Henri Martin est emprisonné durant la guerre d'Indochine, la journaliste est en première ligne: durant un an, jour après jour, elle signe une chronique qui compte dans la campagne pour sa libération.

Après les révélations du rapport Krouchtchev, elle sera à l'initiative, en 1956, d'une pétition d'artistes réclamant la tenue d'un congrès extraordinaire du PCF. De là date un autre combat, dans lequel elle mettra toute son énergie, contre le stalinisme. Elle s'insurge contre l'invasion de la Tchécoslovaquie en 1968 par les troupes du Pacte de Varsovie et la 'normalisation' qui s'ensuit. En décembre 1980, un an après l'invasion de l'Afghanistan et alors qu'en Pologne est décrété l'état d'urgence, elle décide, avec Edouard Pignon, de quitter le Parti communiste, en évoquant une 'dangereuse réalité de ce parti sur la plupart des terrains de la vie nationale et internationale'.

Un de ses derniers ouvrages, publié aux éditions Marval, était consacré à 'l'Histoire de Madame H. P.', ainsi Picasso avait-il intitulé un portrait qu'il avait peint d'elle. De sa rencontre avec le peintre, qu'elle connut par Pignon, est née une amitié durable dont témoignent les nombreux ouvrages qu'Hélène Parmelin consacre à son oeuvre. Un des plus fameux, 'Picasso dit', se fonde sur les propos de l'artiste et brosse, par petites touches, sa vision de l'art et du monde. 'Une chose est accomplie. Ou le semble. Et c'est précisément à partir d'elle et contre elle que tout va se jouer. Cette oeuvre qui porte en elle une vérité recèle surtout le tremplin pour aller ailleurs faire, en lui tournant le dos, la démonstration d'une vérité contraire.' La 'non-tranquillité perpétuelle' du peintre l'habitait aussi.

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